Cet article s’inscrit dans une collaboration avec les blogueurs Krimo (en Algérie) et Rima (au Liban) sur le thème : « Vu de ma fenêtre ».
Nous avons opté pour un échange de correspondance. Cliquez sur les liens insérés dans ce billet pour suivre l’aventure d’une ville à une autre.
Il était à sa fenêtre…Que voyait-il chaque matin au réveil ? Imaginait-il des histoires qui allaient de pair avec chaque passant ? Ou faisait t-il tomber un roman à chaque fois qu’il voulait un peu de compagnie ?
Je n’en sais rien.
J’ai rencontré cet homme par le plus grand des hasards. Du haut de sa fenêtre, il avait fait tomber un roman et j’ai dû le lui rapporter.
– Faites-moi monter mon livre, je suis handicapé ! avait-il crié.
Je suis donc montée et je l’ai rencontré. J’ai laissé entre les pages de son roman ma carte de visite sur laquelle j’avais écrit à l’arrière « A défaut de me parler du livre ; un de ces quatre, racontez moi ce que vous voyez de votre fenêtre ».
Cinq mois se sont écoulés depuis mon retour de ces vacances à Alger. J’ai rejoint mon Dakar, ses rues et ses bruits. Je connais l’adresse de l’inconnu et j’y pense de plus en plus…Pourquoi ne lui écrirais-je pas ?
A défaut de savoir ce qu’il voit de sa fenêtre, peut-être pourrait-il savoir ce que je vois de la mienne…
A l’inconnu d’Alger
Bonjour.
J’ai attendu cinq mois avant de vous écrire ces quelques mots. J’espérais que vous pourriez m’écrire. J’en ai parlé à mon homme, à mes amis et à ma famille. Ils connaissent tous l’homme que je pense que vous êtes et ils attendent aussi impatiemment que moi, que vous me racontiez Alger vu de votre fenêtre.
Mais rien. L’avez-vous quittée cette fenêtre ? Allez-vous bien ?
Ce matin, j’ai eu une pensée pour vous. Et je me suis dit qu’à défaut de lire les mots de l’inconnu d’Alger, je lui parlerai de Dakar, ici au pays de la Teranga.
Vue de ma fenêtre ce matin : Dakar se réveille tout doucement. L’air est encore frais en ce mois de mars, mais la chaleur habituelle ne va pas tarder à venir. Au loin, j’entends le Muezzin qui appelle les croyants à la prière et tout à l’heure une cloche résonnera pour appeler d’autres croyants à la prière.
C’est ça la beauté du Sénégal. Ces matins où le Amen fait si bien écho au Amine, où chrétiens et musulmans se retrouvent dans les rues et que le Salam Aleykoum n’a finalement plus d’appartenance.
Vu de ma fenêtre, je vois une capitale ouverte au monde qui accueille chez elle tellement de cultures et d’habitudes. Je vois une capitale qui est devenue un carrefour de diverses nationalités. Ici dans les rues, le Wolof local se mêle facilement à l’anglais, au français avec des accents variés et chantants. Tu aimerais certainement entendre toute cette musicalité dans les rues.
Bienvenue au pays de la Teranga.
Dakar, Dakar, Dakar… Cette ville m’a conquise. J’y vis depuis douze ans maintenant et, même si je reste très attachée à mon Congo natal, je ne saurais choisir entre Pointe-Noire et Dakar, entre le Congo et le Sénégal. Ces deux pays sont liés dans mon cœur et dans mon sang, mais ceci est une autre histoire…
A Dakar, dès le matin les rues s’animent. Devant chez moi, quelques femmes s’activent à laver le linge dans de grandes bassines, des enfants avancent en tenue d’école bleue et les cars rapides passent à vive allure.
Oui ! Les « cars rapides », marque de fabrique de la capitale, petits bus très colorés et trop rapides. De vrais dangers ambulants mais qui laissent leur empreinte sur la capitale sénégalaise. Tu aimerais les voir passer tels de petits jouets depuis le quatrième étage d’où je t’écris.
Vue de ma fenêtre, Dakar est active, elle est jeune, elle est rêveuse et tentante. Des ouvriers aux petites bonnes en passant par les étudiants et les cadres, Dakar ne dort plus. Dakar bouge. Chacun va à la recherche de son pain quotidien et guette les opportunités. Ici, comme partout ailleurs ; il faut être attentif et impliqué, il faut se construire pour avancer. Fii Moy Sunugal ! Ici c’est le Sénégal.
Cela dit, ne croit pas que tout soit rose vu de ma fenêtre. Tous les jours je regarde avec un sentiment de compassion mêlé à de la colère, les enfants qui déambulent dans les rues à la recherche de l’aumône. Ils sont pieds nus, vêtements déchirés et livrés à eux-mêmes. Eux, ce sont les « Talibés ». Certains d’entre eux ont à peine trois ans et déjà, ils doivent se débrouiller seuls pour récolter quelques pièces. Tu les verras au coin des rues, aux feux de la circulation, mains tendues…On dirait que le ciel en a fait des anges déchus.
Vu de ma fenêtre, il y a quelques uns qui ont abandonné leurs rêves, à force de courir derrière une aide qui ne vient pas toujours. Il y a aussi quelques femmes qui n’osent pas crier les abus dont elles sont victimes et qui marchent la tête baissée et moi ; depuis ma fenêtre, je ne peux que les regarder.
Le Dakar que je vois depuis chez moi est attachant. Avec ses forces et ses faiblesses. Ici quand ton regard croise celui d’un passant, il te dira « Nanga Deff », bonjour. Parce qu’ici, bien plus qu’ailleurs ; on s’attache à des valeurs qui veulent que l’étranger se sente ici comme chez lui. C’est cela l’héritage que les ancêtres ont laissé aux habitants de cette ville : La Téranga, l’hospitalité à la sénégalaise.
Tu aimerais.
A défaut de te balader dans les rues toujours animées de nos quartiers populaires, tu aimeras découvrir les histoires qui font ce pays. Des histoires diverses, colorées, riches et captivantes qui me font toujours dire que ce pays est un piège.
Oui, le Sénégal est un piège. Si tu y viens, tu auras du mal à t’en aller.
Cher inconnu d’Alger, j’espère que tu es encore face à ta fenêtre et que tu te racontes des histoires en voyant des inconnus défiler du matin au soir. J’espère que tu recevras cette lettre de moi… Africaine, congolaise de sang et désormais sénégalaise de cœur.
Et que tu me raconteras à ton tour ce que tu vois chez toi là-bas en Algérie. Est-ce si différent de ce que je vois ici ?
Après tout, nous sommes d’un même continent et je sais qu’en ce moment, le même soleil que je vois ici brille également chez toi.
Amicalement,
Samantha
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