Le 09 mars dernier, l’émission sénégalaise Jakarloo était dédiée à la femme, un hommage en continuité de la journée internationale des droits de la femme. Alors que cette émission devait magnifier la femme, un des intervenants a créé la polémique. Pour le professeur Songué Diouf – professeur en Philosophie et dont les prises de position ont été plusieurs fois plébiscitées par les téléspectateurs –, les femmes sont à l’origine des cas de viol. Les violées seraient responsables de s’être faites violer, elles seraient à l’origine du viol subi et l’homme n’y serait pour rien, le violeur n’est pas responsable.
« Sur ce sujet, je me dois de couper la poire en deux, car, lorsque vous portez plainte contre nous (les hommes), nous aussi, on doit porter plainte contre vous à notre tour, car vous faites tout pour que nous vous violons »
« Le pauvre (parlant ici du violeur) va prendre 10 ans et celle qui a tout fait pour être violée et qui a violé toutes les normes morales et religieuses, elle, continue à errer »
Monsieur Songué Diouf estime que la femme habillée d’une manière indécente (encore faudrait-il être d’accord avec ce qu’il estime être indécent) exerce elle aussi une « violence » vis-à-vis du violeur. Et qu’en fin de compte, selon Monsieur Songué Diouf, le violeur ne serait qu’une pauvre victime. Une victime de celle qu’il a lui même violé parce que ayant été piégé, attiré par…celle là même qu’il a violé.
https://www.youtube.com/watch?v=MnRT8pEA8oo&t=4s
Voilà donc les faits.
Pour résumer, nous sommes en 2018 et un intellectuel, professionnel émérite dans son domaine, enseignant et intellectuel reconnu dans son milieu…Cet intellectuel, donc, pense qu’une femme qui a mis une jupe courte ou un quelconque vêtement mettant en valeur ses formes… est responsable si jamais un pauvre homme cède à la tentation et la viole. La bonne blague !
Je ne voulais pas réagir à ces paroles que le monsieur dit assumer (pour ne pas lui donner une importance qu’il ne mérite absolument pas ) mais la tentation était trop forte, au nom de MES jupes courtes. Parce que oui, je mets des jupes courtes. Et à en croire ce Monsieur, si jamais je me fais violer… ce sera parce que un pauvre homme, incapable de se contrôler; aura été tenté par la diablesse que je suis.
Viols provoqués ?
Selon les statistiques de l’Association des femmes juristes du Sénégal, rien qu’en 2016, le Sénégal aurait enregistré 3600 cas de viols. Entre janvier et juin, il y aurait eu près de 1776 viols dont 516 cas d’inceste. Selon les mêmes sources, l’âge des victimes les plus touchées varie entre 3 et 19 ans.
En 2016, dans les toilettes d’une mosquée ; deux adultes se relaient sur une mineure qu’ils violent. On continue ?
Dans la soirée du 16 au 17 mai 2017, un bébé de 18 mois se fait violer à Thiès.
Allons encore plus loin, il y a moins d’un mois, le 24 février dernier ; la petite M.D était portée disparue après être partie à la boutique du coin. Son corps a été retrouvé le lendemain, dans un sachet en plastique. L’autopsie aurait confirmé un viol suivi de meurtre. Elle avait 8 ans. 8 ans.
Je pourrais continuer ainsi pendant longtemps et vous pourrez constater que les chiffres parlent d’eux même.
S’il faut s’en tenir à la théorie de ce monsieur, les personnes qui sont violées sont responsables du viol parce qu’elles sont « mal » habillées, à son sens. Elles sont donc, pour lui, la cause du viol, et celle-ci n’est pas à chercher du côté de l’agresseur qui ne contrôle pas ses pulsions sexuelles et voit en elles des objets pour assouvir ses désirs sexuels. Pourtant, allez sur Google, associez les mots « viol » et « Sénégal » et vous verrez que les premières victimes de ces agissements honteux, de cette violence inacceptable, ce sont avant tout des enfants.
Avant d’aller plus loin, rappelons ce qu’est un viol.
Un viol est un acte par lequel une personne force une autre personne à avoir des relations sexuelles avec elle, par violence, contrainte, menace ou surprise.
Et posons-nous enfin les bonnes questions.
Dans un cas de viol : Qui donc est violent? Qui est actif et qui subit l’acte? Qui est libre de dire « oui » ou « non » ou « stop » ? Qui déshumanise l’autre en le prenant comme un objet ? Qui a une emprise sur l’autre ? Qui est la victime ? Qui est l’agresseur ?
Dès l’instant où il n’y a pas de consentement mutuel, et donc aucun respect de l’avis de l’autre et de sa liberté de dire « NON », il y a VIOL. Il y a donc un agresseur et une victime.
Au nom de ma jupe courte…
La tenue vestimentaire d’une femme n’est en AUCUN CAS une raison qui justifierait un viol. Sauf erreur de ma part, le Sénégal est un pays LAÏQUE où les femmes n’ont pas l’obligation de se soumettre à certaines règles vestimentaires. Quand bien même une femme marcherait NUE dans la rue, ce serait la responsabilité des forces de l’ordre de l’interpeller et non pas d’un pseudo-justicier qui punirait à coups de reins, une femme non-consentante.
Au Sénégal, les hommes font ce qu’ils veulent, s’habillent comme ils veulent et pourtant non, les femmes ne se jettent pas sur le premier jeune homme en short court pour le violer en bande. N’avons-nous pas des désirs ? C’est ce qu’on vous a dit ? Le désir est autant féminin que masculin.
Ne justifiez pas l’injustifiable.
Un homme incapable de se retenir devant une paire de fesses est un malade doublé d’un pervers et non, ce n’est ni la faute de la femme aux formes généreuses, ni celle de sa jupe courte.
Il n’y a pas à « couper la poire en deux ». Un viol est un viol. Et le violeur est le seul coupable. Il porte l’entière responsabilité d’avoir introduit son sexe dans l’intimité d’une femme.
Qu’elle soit professionnelle du sexe. Qu’elle se balade en ras-de-fesses. Qu’elle soit nue.
Point final. Débat clos.
Les arguments qui sont apportés ne sont que la preuve du manque de retenue de certains hommes qui cacheraient en eux aussi de potentiels violeurs. De quoi se défendent-ils si ce n’est du fait d’être eux-mêmes incapables de se maîtriser ?
Alors non, je ne m’excuserai pas si des hommes, des adultes, des pères de famille, des intellectuels et des hauts responsables sont incapables de retenir leurs pantalons bien remontés à la vue de quelques attributs féminins. Ce qui différencie l’homme de l’animal, c’est sûrement la capacité à gérer sa libido. Alors, les hommes seraient-ils des animaux? Des bêtes sauvages? Qui sautent sur tout ce qui leur fait envie sans demander notre avis? Sommes nous dans une jungle où là aussi, la loi du plus fort est la meilleure?
Je n’ai pas, en tant que femme, à m’excuser de votre faiblesse et de la perversité qui l’accompagne.
Comme l’a si bien dit Françoise Héritier, il faut : « repenser la question du rapport entre les sexes, s’attaquer à ce statut de domination masculine et anéantir l’idée d’un désir masculin irrépressible ».
Cela arrange bien des hommes de faire croire que leur désir est « irrépressible ». Mais aucun désir n’est irrépressible, c’est un mythe bien ancré dans les sociétés qui veut que l’homme soit incapable de se retenir. Et ils finissent par y croire eux-mêmes, la preuve !
Ce qui est vrai, c’est que derrière toutes ces considérations, il n’y a qu’une seule question : celle du rapport entre les sexes et donc celle de la domination du masculin sur le féminin, et cela existe depuis des centaines d’années malheureusement.
En 2018 il serait tant que cela change, et cela ne changera que par la voix des femmes, parceque c’est la responsabilité des femmes de dire « stop ». Nous devons oser dire « NON » à l’unisson pour que les mentalités changent enfin.
Et les femmes dans tout ça…Parlons-en!
Sur les réseaux sociaux, c’est LE sujet du moment. Autant, je suis ébahie de voir des hommes soutenir mordicus le point de vue de ce professeur, en cachant avec des airs de sainteté leurs propres faiblesses, autant, je suis dégoûtée de voir que des femmes se permettent de défendre le même avis. C’est bien triste. Aucune raison n’est valable pour justifier un viol. AUCUNE.
D’ailleurs pour information, le 9 mars, alors que le Professeur Songué s’exprimait avec un air dédaigneux, des femmes étaient bien présentes sur le panel. Qu’ont-elles dit ? RIEN. Pourtant, on entend des rires idiots qui semblent trahir une certaine gêne, car oui, elles étaient surement conscientes des propos hallucinants de Monsieur Diouf… mais pourquoi n’ont-elles pas réagi ?
Des femmes étaient sûrement présentes dans le public. Ont-elles seulement réagi ? Non.
Non Mesdames, vous n’auriez pas dû vous taire. Vous étiez en première ligne et c’était votre responsabilité de réagir avec la plus grande énergie pour dire STOP à l’instant même où ce monsieur sortait de telles inepties. Car il est de la responsabilité des femmes de réagir lorsque de tels propos sont énoncés. Se taire c’est être complice. Et toutes les femmes présentes ce soir-là sur le plateau de la TFM ont été complices de monsieur Songué Diouf alors qu’il expliquait que ce sont les violeurs qui sont victimes des femmes violées.
Ne parlons pas du journaliste qui animait était censé animer ce débat et qui n’a pas fait son travail de modérateur et qui n’a pas cherché à équilibrer les points de vue. Les responsables (rédacteurs en chef et autres…) de cette émission se sont-ils remis en question ? Dans d’autres pays, ils pourraient être tout simplement mis à la porte pour une telle irresponsabilité professionnelle.
Le Conseil National de Régulation de l’Audiovisuel (Cnra) enfin sorti de son mutisme a fait une simple mise en garde à l’endroit de la Télévision Futurs Médias, demandant par la même occasion que l’émission ne soit plus rediffusée. Est-ce suffisant?
Malheureusement, à l’heure où au Sénégal, des initiatives à l’image de #Nopiwouma essaient de dénoncer les diverses violences faites aux femmes et aux jeunes filles, d’autres femmes s’allient à une cause qui voudrait qu’un violeur soit vu en victime.
Voilà où nous en sommes, en ce mois de mars 2018, pour célébrer le droits des femmes.
À l’heure actuelle, une pétition a été lancée pour que Monsieur Diouf présente des excuses publiques. Mais est-ce suffisant lorsque l’on voit les réactions effrayantes de certains internautes, hommes et femmes confondus ?
Il est urgent de faire un débat de société digne de ce nom. Et très certainement aussi un gros travail d’éducation. Nous sommes en 2018 et nous peinons encore à sortir des stéréotypes sur les rapports femme-homme.
Est-ce que le mal n’est pas plus grave qu’il n’y paraît. Et si le Professeur Songué n’avait fait que dire ce que beaucoup pensent tout bas ?
MISE À JOUR: Monsieur Diouf se serait excusé. Que dis-je! Il a tenté de se justifier.
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