Je venais de monter dans le bus. Il faisait chaud mais malgré les sièges presque tous occupés, j’ai pu trouver un siège libre. Je me suis assise, pensive et manipulant mon téléphone.
Nous sommes un mardi du mois d’aout en terre sénégalaise, il est 11h mais déjà la chaleur est étouffante. Le bus, lui ; avance à pas d’escargot et l’air devient de plus en plus suffocant. A cet instant, je regrette de ne pas avoir pris un taxi ; malgré les prix terriblement élevés qui sont pratiqués à l’approche de la fête religieuse, la tabaski.
Nous roulions depuis une dizaine de minute lorsqu’une femme s’est engouffrée dans le bus. Elle portait deux bébés d’environs 2 mois – un dans ses bras et un autre, dans son dos – mais aussi un sac qui semblait contenir les affaires des enfants et un autre sac à main. C’est à peine si elle n’est pas tombée lorsque le bus a redémarré. J’ai lancé un rapide regard vers elle, avant de continuer à manipuler mon Smartphone. Twitter n’attend pas !
J’écrivais d’ailleurs mon énième tweet lorsqu’on déposa contre moi un des bébés. D’un coup sec, comme si c’était le mien. La mère avait trouvé un siège juste derrière moi mais ne pouvait décidément pas s’asseoir et tenir les deux enfants contre elle. Avec un sourire gêné, elle me tendit un mouchoir pour nettoyer la sueur qui dégoulinait du visage de la petite fille. Je ne dis rien. Je venais de me voir confier la responsabilité d’un nourrisson, dans un bus qui ne tarderait pas à être bondé.
Et là, je me suis posé une question : « Étais-je prête à être mère » ?
Maman, ça s’apprend…
En Afrique, on reçoit plus ou moins une éducation qui nous prépare à être mère à notre tour. Très tôt, les petites filles ont la responsabilité d’aider leurs mères à veiller sur leurs petits frères ou petites sœurs. Elles apprennent ainsi à porter un bébé sur leurs dos, à changer des couches, à leur donner à manger. Bref, elles apprennent très tôt à devenir des petites mamans. Malheureusement pour moi, lorsque mon petit frère est né, je n’avais que 03 ans et par la suite, je n’ai pas eu beaucoup d’occasion de prendre soin des nouveaux nés. J’ai d’ailleurs eu l’habitude de ne jamais porter des bébés de moins de 03 mois. J’avais l’impression que le moindre geste imprudent pourrait être fatal.
Aussi, imaginez moi, dans ce bus ; avec bébé qui s’était entretemps, endormi contre moi.
Maman, ça ne prévient pas toujours…
Alors que je ne m’y attendais absolument pas, la maman de cet enfant que je soulevais maintenant m’avait confié ce qu’il y’avait de plus précieux : Une vie. Un peu comme la vie elle-même surprend plus d’une et confie du jour au lendemain, un bébé qu’elles ne sont pas toujours prêtes à avoir. Dans ce bus où peu à peu les gens entraient et où il devenait difficile de bouger sans heurter quelqu’un, j’avais la lourde charge de veiller à ce que la petite dans mes bras, puisse continuer à dormir paisiblement. Oui ! Mon rôle à ce moment là était de m’assurer que personne ne la réveillerait ou surtout, que dans cette cohue, qu’elle ne se fasse pas mal. Et pour le faire, j’ai mis de côté mon téléphone, mon portefeuille et mes soucis du moment.
Un peu comme une maman dans la vraie vie qui est pendant très longtemps le principal rempart entre son enfant et tout ce qu’il rencontre dans la vie. Lorsqu’il est encore petit, c’est très souvent à la mère de veiller à ce qu’il ne se blesse pas, qu’il ne tombe pas… Beaucoup d’entre elles doivent aussi jongler entre leurs rêves, leurs carrières, leurs envies pour se focaliser vers cette nouvelle vie.
Le rôle d’une vie. Un rôle qui peut nous tomber dessus sans vraiment que l’on soit prête. Un peu comme moi, dans ce bus qui se remplissait lentement mais très surement.
Maman, elle a des supers pouvoirs…
Nous avons donc continué le trajet et Dieu seul sait comment je devais jouer des coudes pour que l’enfant soit à l’abri de la foule désormais entassée dans le bus. Serrée contre moi, elle continuait à dormir du sommeil du juste et de temps à autre ; la trouillarde que je suis vérifiait qu’elle respirait bien… Il faut dire qu’il faisait extrêmement chaud dans le bus en question. A un moment, notre chauffeur a dû freiner brusquement pour éviter une voiture qui passait à vive allure. J’ai dû alors couvrir la petite en prévision d’un choc. Plus de peur que de mal mais à cet instant j’ai réalisé à quel point cette vie pouvait dépendre entièrement de moi. A ce moment là. Et pour ceux qui n’ont jamais ressenti ce genre de sentiment, à la fois exaltant et oppressant…C’est un sentiment bizarre. Très bizarre.
A ce moment, j’ai pensé encore à quel point une mère devait parfois prendre quelques coups de la vie contre elle dans le seul but de protéger son enfant. J’ai réalisé qu’être mère c’est comme d’avoir deux vies : la sienne et celle qu’on doit gérer à côté. La vie d’une personne qui compte totalement sur vous pour survivre.
Maman, cette noble mission…
Après un trajet que j’ai trouvé trop long – surtout sans mon portable et en alerte – la maman a demandé son arrêt. Elle est descendue avec le bébé qu’elle portait puis je lui ai tendu le second enfant. Elle m’a remercié puis s’est éloignée. La petite fille dormait encore. J’avoue qu’à ce moment, j’ai eu un petit sentiment de fierté. De voir que j’avais atteint mon objectif et que l’enfant que cette inconnue m’avait confiée était arrivé sain et sauf, à bon port. Surement, c’est ce que toute maman doit ressentir lorsqu’elle voit son enfant passer d’une étape à l’autre. Lorsqu’il fait ses premiers pas, qu’il dit ses premiers mots, qu’il apprend à manger seul ou qu’il ramène son premier diplôme. Je pense que c’est ce genre de fierté que ressent une mère. La fierté de la mission accomplie.
Être mère, c’est certainement loin d’être une mission facile. C’est l’histoire d’une vie et c’est surtout un ensemble de compromis. Qu’on soit prête ou pas, je crois qu’il y’a toujours des choses à apprendre, des peurs qui sont profondément installées et des espoirs que l’on garde pour soi. Enfin! Je ne sais pas, mais c’est ce que les « Maters » disent. Il n’y a certainement pas de bonne ou de mauvaise manière d’être mère. Il y’a celle que l’on adapte et que l’on améliore chaque jour un peu plus.
Le bébé parti, je me suis replongée dans mon Smartphone. J’ai quitté Twitter et j’ai ouvert le bloc-note de mon téléphone. J’ai commencé à écrire ce texte, sans savoir si je l’aurai fini avant d’arriver à destination.
J’ai jeté un coup d’œil par une des vitres et je me suis rendue compte qu’il y’avait des embouteillages, qu’il faisait chaud et que j’en avais pour longtemps encore. Alors, j’ai écrit. Et je me suis demandé si j’étais prête à être mère.
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